(Khâkestar-o-khâk, 2000)
Traduction : Sabrina Nouri. Langue d’origine : Persan Afghan
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Afghanistan pendant l’invasion soviétique en 1979. Le vieux Dastaguir part chercher son fils Mourad, qui travaille dans les mines, pour lui annoncer qu’un bombardement dans le village a tué toute leur famille. Dastaguir erre avec le fils de Mourad, Yassin, seul survivant de la catastrophe, qui est devenu sourd après les explosions. Le dilemme de Dastaguir sera d’expliquer à son fils qu’il a perdu sa mère, sa femme et le reste de sa famille, ou bien lui laisser dans l’ignorance le plus longtemps possible. Avec son grand-fils Yassim, ils parcourent un paysage de désolation, dans un pays ravagé par la guerre.
La solitude d’un vieillard accablé par le chagrin :
Roman très court, presque une novella, absolument bouleversant par le réalisme et la profondeur avec laquelle on dépeint la détresse d’un personnage tiraillé entre s’abandonner dans la mort, ou essayer de recomposer ce qui reste de sa famille, dans les décombres d’une ville en proie à l’insoutenable réalité de la guerre.
Narré à la deuxième personne, ce procédé narratif inhabituel permet de plonger dans la psyché du personnage central et les reproches que lui-même semble se faire. Le roman retrace quelques heures de la vie de Dastaguir, après les bombardements qui ont décimé sa famille. Dans ces quelques instants le vieux essaie de composer avec sa nouvelle situation. Il sera accompagné par son grand-fils Yassim, devenu sourd après les bombardements, mais pas encore conscient de cette réalité. L’enfant, qui devient excité et difficile, pense plutôt que les personnes de son entourage ont perdu leur voix après les explosions.
Dastaguir fait des équilibres entre le garçon, son propre chagrin, et le devoir de transmettre la nouvelle à son fils, qui est au travail dans la mine. Dastaguir n’est pas sûr qu’accabler son fils de cette mauvaise nouvelle soit la meilleure option. Il pourrait lui laisser au travail quelques jours de plus avant qu’il ne rentre au village pour apprendre la réalité affreuse qui l’attend. Mais cela représenterait que Dastaguir devra garder son propre chagrin que pour lui-même, et le vieillard est à bout de forces, dans un enfer sans espoir, souhaitant s’abandonner dans une mort qui le libérerait de la souffrance.
Voilà ce dilemme terrible, qui est traité dans le roman avec finesse et maîtrise remarquables. Les errances de ce vieillard et son petit-fils parmi ce paysage dévasté ont un pouvoir visuel stupéfiant, qui contribue au côté poétique mais réaliste du roman. Avec un style simple fait des phrases courtes et directes, le roman est très sobre, sans aucun excès dramatique, mais avec toute l’émotion du monde. C’est un libre fort et poignant.
Atiq Rahimi, originaire de Kaboul, a fui l’invasion de son pays et s’est exilé en France depuis 1984. Mélangeant sa carrière d’écrivain avec celle de cinéaste, il adapta lui-même son roman au cinéma en 2004. Rahimi obtint le prix Goncourt en 2008 par ‘Syngue Sabour. Pierre de Patience’. ‘Terre et Cendres’ est son premier roman.
Citation :
« Tes yeux ne peuvent plus voir. Ils sont usés, épuisés. À force d’épuisement et d’insomnie, tu sombres à chaque instant dans un demi-sommeil. Un demi-sommeil où se bousculent les images… Comme si tu ne vivais plus que pour ces souvenirs et ces images. Les souvenirs et les images de ce que tu as vécu et que tu aurais voulu ne pas vivre ; peut-être aussi la vision de ce qui t’attend encore et que tu ne veux pas vivre. »
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