(Sátántangó, 1985)
Traduction : Joëlle Dufeuilly. Langue d’origine : Hongrois
⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Hongrie, quelque part dans la deuxième moitié du XXe siècle. Dans une coopérative agricole perdue au milieu de nulle part quelques personnes essaient de survivre tan bien que mal, après l’abandon de l’exploitation par les propriétaires et les anciens employés. Aucun futur ne semble se dessiner, mais ces habitants isolés semblent végéter, incapables de partir ailleurs. Ils se jalousent, s’espionnent, conspirent, craignant tout le temps par la perte de ce rien qui n’ont pas. Dans cette ambiance de décrépitude, une rumeur s’installe : Irimiàs et Petrina, deux hommes qu’on croyait morts depuis presque deux ans, seraient sur le point de revenir. Certains habitants vont voir une lumière d’espoir dans ce retour, d’autres, une nouvelle source d’angoisse.
Réalisme magique déprimant :
Ce livre serait comme le penchant opposé de ‘Cent ans de solitude’ de Garcia Marquez. Là où l’imagination débordante du prix Nobel colombien créait un univers qui foisonnait et rayonnait dans mille directions, le hongrois propose le contraire : un univers endogamique qui au lieu de se répandre, préfère tourner en cercles autour de lui-même, sans nouvelles propositions, tournant une fois et une autre sur les mêmes idées. Comme dans ‘Cent ans de solitude’, on trouve ici des éléments du réalisme magique, l’idée du temps suspendu et des personnages soumis à son inexorabilité, mais dans ‘Tango de Satan’ tout est servi avec redondance et parcimonie, sans jamais créer un ensemble vraiment suggestif. L’ambiance plombant n’est pas utilisé comme véhicule pour avancer ni l’intrigue ni la réflexion.
Le parti pris et l’univers sont, certes, intéressants. Les personnages dans cette coopérative abandonné sont par la plupart désœuvrés, et vivotent dans les restes d’une civilisation jadis fleurissante, mais maintenant envahie par la crasse et la rouille. Effectivement l’exploitation ne fonctionne plus, les murs se lézardent, le crachin et la grisaille, la moisissure et les cafards envahissent tout. Une vingtaine des personnages végètent dans cet univers hors du temps, où l’alcool semble être la seule échappatoire. Le roman les suit le long de quelques jours, en ressassant les mêmes évènements selon différents points de vue. L’action n’avance pas vraiment ou très peu, le côté polyédrique domine presque entièrement le récit. Le problème à mon sens, est que cette narration éclatée ne permet pas vraiment de réévaluer les faits ressassés, car tous les personnages semblent être motivés par la même nonchalance et désespoir. Du coup, dans la première partie du livre, c’est tout le temps la même chose.
Pour finir d’arranger les choses, les personnages féminins sont vraiment schématiques en plus de qu’il n’y en a pas beaucoup. Sans exister vraiment en tant que personnages, elles seront seulement décrites en rapport aux hommes, selon le désir qu’elles soulèvent, ou leur côté castrateur de masculinité. En général Il y a peu de nuances sur les personnages, mais c’est doublement flagrant chez les personnages féminins, du coup le roman semble encore plus daté et poussiéreux que les personnages qui décrit. Pire encore, Krasznahorkai semble avoir une vision assez élitiste des personnes moins cultivés et des travailleurs et ouvriers en général. Au lieu d’être le fruit d’une supposée génialité créative (l’auteur est souvent pressenti pour le Prix Nobel), est-ce que cet ensemble d’abrutis sans âme qui peuplent le roman pourrait obéir, tout simplement, à du mépris classiciste de la part de l’écrivain ? La question se pose.
Malgré cela, il y a des concepts intéressants: La déprime généralisée et cette structure spirale qui nous sert toujours les mêmes choses sur des optiques qui sont différentes seulement en apparence. Le livre est quand même bien écrit, ce qui m’a permis d’arriver jusqu’à la fin. Dans la deuxième partie, sans spoiler, l’action avance finalement dans une sorte d’intrigue qui par moments se révèle intéressante, vers un dénouement confus et moyennement satisfaisant.
Si vous aimez les romans européens postmodernistes style Gombriwcz ou Thomas Bernhard, ce livre peut vraiment vous ravir. Si, comme moi, vous êtes un lecteur qui penche plus du côté rationnel, fuyez.
Citation :
« Il avait la conviction que, même lorsqu’il le désirait, l’homme était incapable de dire la vérité, aussi la première version d’une histoire racontée n’avait-elle d’autre portée que celle-ci : “Il s’est peut-être passé quelque chose…” Pour connaître précisément l’histoire, il fallait, pensait-il, faire l’effort d’écouter chaque nouvelle version jusqu’à ce qu’il n’y ait plus qu’à attendre que la vérité à un moment – comme ça tout d’un coup – se révèle. À ce moment-là, les détails de l’histoire apparaissaient et ainsi – avec un effet rétroactif – il devenait possible de remettre dans l’ordre les éléments de la première version. »
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